En quête de justice
En quête de justice

Saisine des ministres de la Culture et de la Justice

Preuve de l’originalité de l’œuvre : une atteinte aux droits fondamentaux des auteurs

Dossier envoyé à Roselyne Bachelot et Eric Dupond-Moretti, le 5 février 2021

 

Dossier rédigé par Corinne Morel, présidente de l’association EN QUÊTE DE JUSTICE et fondatrice du collectif « Je défends les auteurs » 

 

La jurisprudence relative à la preuve de l’originalité de l’œuvre, qui sévit depuis quelques années, en France, est contraire aux lois de la République, aux principes constitutionnels, aux directives européennes et aux conventions internationales. Elle a des conséquences très graves pour les auteurs et créateurs : atteinte à leurs droits fondamentaux, absence de recours effectif, insécurité juridique, traitement discriminatoire, rupture de l’égalité en droits, atteinte à la liberté de création et d’expression.

L’association EN QUÊTE DE JUSTICE alerte depuis des années sur cette situation.

Le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) a ouvert une mission en juillet 2018 sur cette jurisprudence.

L’association EN QUÊTE DE JUSTICE a été auditionnée, en mars 2019, dans le cadre de la mission menée par le CSPLA.

Le rapport du CSPLA a été rendu le 15 décembre 2020.

 

Dans le cadre de cette jurisprudence, les juges soumettent l’auteur à une contrainte non prévue par la loi, en l’obligeant  à faire la preuve de l’originalité de son œuvre, même en cas de reproduction servile de cette dernière. Pour établir cette preuve, les juges ne prennent pas en compte les éléments objectifs, tels que l’antériorité, le style, l’angle personnel de traitement des idées, le caractère distinctif de l’œuvre par rapport aux œuvres existantes, alors que c’est précisément ce qui rend l’œuvre originale.

La situation est présentée en ces termes dans la lettre de mission du CSPLA : « Seule condition requise pour qu’une œuvre bénéficie, pendant la durée du monopole, de la protection légale, l’originalité est une création purement jurisprudentielle. L’originalité s’apprécie traditionnellement de manière subjective. »

 

Les auteurs sont de fait jugés en dehors de tout cadre républicain puisqu’ils sont soumis à une condition non prévue par la loi, dont l’appréciation est de surcroît subjective, ce qui entraîne de très nombreux dommages, pouvant aller jusqu’à une privation abusive de leurs droits et de tout recours effectif.

Notre association souhaite pour cette raison être entendue au plus vite par les ministres de la Justice et de la Culture. Cette situation relève directement de leur responsabilité, sachant notamment que :

 

  • Le CSPLA propose une modification de la loi, qui inquiète vivement l’association EN QUÊTE DE JUSTICE. Cette modification ne résoudra pas le problème, bien au contraire. D’autres pistes doivent être étudiées, parmi lesquelles celles que notre association propose.

  • Des auteurs sont actuellement privés de tout recours effectif, ce qui est un grave manquement de la France à ses obligations. En vertu de la loi qui oblige l’État à réparer les dommages causés par le fonctionnement défectueux du service public de la justice, des solutions doivent être proposées aux auteurs qui sont ou ont été lésés dans leurs droits fondamentaux, ce que le rapport du CSPLA ne prévoit pas.

 

1/ Le rapport du CSPLA permet de comprendre l’origine de cette jurisprudence, qui a été créée en raison d’une extension massive de la demande de protection au titre du droit d’auteur pour des objets de consommation courante (vêtements, aliments, mobilier, etc.).

Le problème, c’est qu’elle en est venue à s’appliquer, sans aucune raison valable, à des livres, des dessins, des photos, etc., au point que les juges français refusent la protection au titre du droit d’auteur à des œuvres de l’esprit répertoriées par la loi.

Non seulement les juges appliquent indistinctement cette jurisprudence aux objets de consommation courante et aux œuvres de l’esprit référencées par la loi mais ils donnent une prime à la mauvaise foi.

Au prétexte que l’originalité est contestée par les défendeurs, le juge soumet l’auteur à cette preuve, quand bien même il s’agit, par exemple, d’un livre que les contrefacteurs ont acheté et diffusé sans l’autorisation de l’auteur sur Internet.

« Ainsi qu'il a déjà été rappelé, la contestation d'originalité est, au contraire, désormais quasi systématique en défense, quel que soit le type ou le genre d'œuvres. » (page 79 du rapport du CSPLA)

Dès lors, l’auteur est soumis à cette preuve et, comme le juge peut écarter les éléments objectifs, qui sont les seuls à même d’établir l’originalité de l’œuvre, le livre, dont l’originalité ne fait pourtant aucun doute, est exclu de façon totalement arbitraire du champ des œuvres de l’esprit.

Ce même modèle s’applique aux dessins, illustrations, photos d’art, œuvres musicales, etc.

Il s’agit d’une dérive très grave. Rien ne justifie que les juridictions françaises appliquent cette jurisprudence à des œuvres de l’esprit répertoriées par la loi.

 

2/ En s’appuyant sur les auditions, les publications et les décisions de justice, le rapport du CSPLA atteste de la réalité des atteintes portées aux droits fondamentaux par cette jurisprudence : preuve impossible à faire, arbitraire des motifs, absence de recours effectif pour les auteurs, hétérogénéité des décisions rendues, insécurité juridique, discrimination au coût, discrimination en raison du sujet et/ou du genre, etc.

En revanche, il laisse le problème entier car il ne détermine pas la cause de ces atteintes, à savoir le refus par les juges français de prendre en compte les éléments objectifs qui prouvent sans doute possible l’originalité de l’œuvre.

Le rapport du CSPLA n’en parle jamais, alors que tout le problème vient de là.

Si l’on passe sous silence la cause principale du problème, on ne peut pas régler le problème.

En réalité, dans le cadre de cette jurisprudence, la preuve est impossible à faire - au point d’être qualifiée de « diabolique » dans le rapport du CSPLA – non parce qu’elle pose des difficultés techniques ou particulières à l’auteur, mais parce que les juges écartent de façon incompréhensible : l’antériorité, le style, l’angle personnel de traitement des idées, l’agen-cement spécifique des mots, et de façon beaucoup plus élémentaire encore, le caractère distinctif de l’œuvre par rapport aux œuvres existantes.

La règle est pourtant simple : si on ne peut pas opposer d’œuvres similaires, la preuve de l’originalité est faite. Pour qu’elle soit originale, l’œuvre ne doit pas être copiée sur une autre œuvre. C’est d’ailleurs ce qu’ont énoncé à plusieurs reprises la Cour de Justice européenne et les conventions internationales, qui exigent des États membres qu’ils assurent aux œuvres de l’esprit une protection élevée.

Rappelons aussi que la justice française doit être rendue dans le cadre républicain, ce qui signifie qu’aucun tribunal ne peut contraindre en dehors de la loi et exiger une preuve impossible à faire. Ce principe est d’ailleurs énoncé par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen : « Nul ne peut être contraint à faire ce que la loi n’ordonne pas. » (article 5)

Or aucune loi, passée ou actuelle, n’ordonne à l’auteur de faire la preuve de l’originalité de l’œuvre, encore moins dans les conditions incompréhensibles et inintelligibles fixées par cette jurisprudence.

La loi oblige simplement à prouver que l’œuvre a été créée, ce qui est le cas quand elle est distinctive des œuvres antérieures. C’est très clair.

Alors, pourquoi le juge français apprécie-t-il l’originalité de façon subjective quand elle peut l’être aisément de façon objective ?

Le rapport du CSPLA ne répond pas à cette question, qui est pourtant la question centrale.

Cette question en entraîne nécessairement une autre, à laquelle le rapport ne répond pas plus, alors qu’elle est d’une importance tout aussi capitale :

Comment l’auteur peut-il faire la preuve de l’originalité si le juge écarte les éléments objectifs, à savoir l’antériorité, le caractère distinctif de l’œuvre par rapport à l’existant, le choix du vocabulaire, l’angle personnel de traitement des données, la mise en forme personnelle des idées ?

En l’absence de réponse à cette question, l’insécurité juridique est totale.

Comme le juge rejette abusivement les éléments objectifs, il ne reste forcément plus que des éléments subjectifs, ce qui pose un sérieux problème dans une démocratie (contrôle des œuvres, censure judiciaire, jugement de valeur, partialité) et ce qui empêche l’auteur de faire valoir ses droits en tout sécurité.

Résultat : alors que l’œuvre est parfaitement originale et que la preuve en est objectivement faite, le juge peut d’autorité considérer le contraire et refuser à l’œuvre toute protection.

Il ne faut pas s’étonner dans ces conditions que : « Les auteurs pointent l'insécurité juridique qui en résulte pour eux : avant un éventuel procès, ils ne peuvent être certains que l'originalité de leurs œuvres pourra être établie et, partant, que celles-ci jouissent bien de la protection légale censée résulter du seul fait de la création. » (page 57 du rapport du CSPLA sur la preuve de l’originalité de l’œuvre).

En effet, alors que la loi l’interdit formellement, il suffit que le juge décide, sans raison particulière ou bien parce qu’il n’aime pas son sujet ou son genre, que l’œuvre n’est pas protégée et elle ne l’est pas. L’auteur n’a plus son mot à dire, son œuvre peut être reproduite et diffusée sans son consentement. L’auteur est même à ce point dépouillé de ses droits qu’il n’a plus à être cité.

Nous sommes dans l’arbitraire le plus total, et dans un arbitraire délibéré. Non seulement les juges français ajoutent une condition à la loi mais ils rendent cette condition impossible à satisfaire. Non seulement les juges jugent les œuvres mais ils les jugent de manière subjective, c’est-à-dire selon leur avis personnel et leur idéologie.

Comme le droit d’auteur a été classé par le conseil constitutionnel au rang des droits fondamentaux définis par l’article 2 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, il ne s’agit pas d’un problème mineur, mais d’atteintes majeures aux droits fondamentaux.

Si l’auteur n’est pas protégé et si les atteintes à son œuvre ne sont pas sanctionnées, il n’est pas difficile de vivre de sa plume ou de son art, c’est impossible. La France ne peut pas laisser les auteurs privés de tout recours effectif. Elle doit prendre les mesures préventives, conservatoires et réparatrices qui s’imposent.

 

3/ C’est pourquoi, concernant les auteurs qui ont été, en raison de cette jurisprudence, à la fois arbitrairement privés de leurs droits sur leur œuvre et de toute solution judiciaire, il est nécessaire d’apporter des réponses aux questions suivantes :

Quelles solutions sont prévues pour ces auteurs ?

Comme l’État, dont la loi rappelle qu’il est responsable du fonctionnement défectueux du service public de la justice, compte-t-il réparer les dommages subis ?

Comment l’Etat compte-t-il réhabiliter les textes, livres, dessins, photos, etc., qui ont été abusivement exclues du champ des œuvres de l’esprit ?

 

4/ En plus de réparer les dommages subis, il faut bien évidemment agir, et agir vite, pour qu’à l’avenir de telles situations ne puissent pas se reproduire.

Les préconisations du CSPLA, loin de répondre à cette nécessité, menacent directement l’avenir des auteurs et de la culture, en proposant de faire entrer cette jurisprudence dans la loi.

On lit ainsi (page 72 du rapport) : « Il résulte des constatations effectuées au cours de la mission que la situation actuelle ne peut perdurer sans mettre à mal la protection des oeuvres pour lesquelles celle-ci a précisément été instaurée, à savoir les oeuvres créées dans une intention exclusivement artistique et qui se distinguent, par là-même, de celles qui ne partagent que partiellement ou accessoirement ce dessein : les oeuvres techniques et utilitaires. » 

La formulation est tendancieuse et totalement contraire à la loi, qui interdit toute discrimination en raison du genre.

Ainsi un texte philosophique, un essai politique, un livre pédagogique, un ouvrage sur le symbolisme ou encore un documentaire ne serait pas protégé par la loi ?

Cette logique nous conduit tout droit vers un régime de censure et un contrôle des œuvres. Au final, certaines œuvres seront protégées et d’autres ne le seront pas, en raison de leur genre ou de leur sujet.

Le CPI n’a pas vocation à protéger les œuvres exclusivement artistiques, ce n’est pas le Code de la propriété Artistique mais le Code de la propriété intellectuelle.

 

5/ Enfin, alors qu’il pointe les nombreuses irrégularités de cette jurisprudence qui s’appli-que sans raison valable aux œuvres de l’esprit référencées par la loi, et soulève à quel point l’acception du terme « originalité » par le juge français est floue et non conforme aux normes européennes, la solution proposée dans le rapport du CSPLA est pour le moins surprenante et, dans tous les cas, inacceptable pour les auteurs.

On lit ainsi (page 72 du rapport) :

« Cette solution s'écrit ainsi :

Article L. 112-1

"Les dispositions du présent code protègent les droits des auteurs sur toutes les œuvre de l’esprit originales, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination.

Il appartient à celui qui conteste l’originalité d’une œuvre d’établir que son existence est affectée d’un doute sérieux et, en présence d’une contestation ainsi motivée, à celui qui revendique des droits sur l’œuvre d’identifier ce qui la caractérise." »

Les termes ajoutés (soulignés ci-dessus) sont totalement flous. Ces ajouts n’empêcheront pas les dérives de cette jurisprudence, notamment le fait que le juge refuse les éléments objectifs qui prouvent l’originalité de l’œuvre. Le juge pourra continuer à les refuser. Cette solution va faire entrer l’arbitraire dans la loi.

Les auteurs ne se plaignent pas de la loi mais de la jurisprudence. Le Code de la propriété intellectuelle ne pose aucun problème. Au contraire, il est très protecteur. Il détermine clairement les droits des auteurs, liste les œuvres de l’esprit, détermine, en cas de litige, qui est l’auteur, interdit la reproduction, oblige à citer ses sources.

C’est la jurisprudence qui sévit depuis plusieurs années qui pose problème, pas la loi.

 

Pour toutes ces raisons, les ministres de la Justice et de la Culture doivent entendre notre association.

 

Il est de leur responsabilité commune d’intervenir :

 

D’une part, pour suspendre le recours à cette jurisprudence, le temps qu’ils se prononcent sur ses fondements et déterminent sa compatibilité ou son incompatibilité avec les lois de la République, les textes constitutionnels, les directives européennes et les conventions internationales ratifiées par la France.

 

D’autre part, conformément à la loi qui oblige l’État à réparer les dommages causés par le fonctionnement défectueux du service public de la justice, pour proposer des solutions aux auteurs lésés par cette jurisprudence et privés de tout recours effectif. Si le juge a par le passé imposé cette contrainte à l’auteur d’une œuvre de l’esprit répertoriée par la loi et a refusé les éléments de preuve portés à sa connaissance et qui établissaient objectivement l’originalité de l’œuvre, alors non seulement l’auteur n’a pas à en subir les conséquences, mais il doit être indemnisé des dommages subis.

 

Enfin, pour réfléchir à une législation spécifique aux objets de consommation courante à la marge du droit d’auteur (vêtements, aliments, lunettes, etc.), afin que les juridictions françaises ne puissent plus appliquer aux œuvres de l’esprit répertoriées par la loi (livres, dessins, photos, etc.) une jurisprudence qui ne les concerne pas.

 

En tout état de cause, si à l’issue de cet examen, les ministres décident d’ajouter la preuve de l’originalité de l’œuvre à la loi, alors cette contrainte ne pourra s’appliquer qu’aux décisions rendues à partir de l’entrée en vigueur de la loi. Cette preuve devra s’établir sur des critères objectifs, tels l’antériorité, le caractère distinctif de l’œuvre par rapport aux œuvres existantes, la personnalisation du style, le choix d’un vocabulaire précis, la spécificité du plan, le traitement personnel des données, la mise en forme personnelle des idées, de façon à ce que le juge ne puisse pas écarter les éléments objectifs qui prouvent que l’œuvre est originale. Pour ne pas inverser la charge de la preuve, ce sera à celui qui prétend que l’œuvre qu’il a reproduite n’est pas originale de le prouver puisque, dans le droit français, c’est à celui qui prétend une chose de la prouver.

 

Lien vers la pétition pour nous soutenir : 

https://www.mesopinions.com/petition/art-culture/culture-danger-controle-uvres/127672

 

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